« Nous avons eu raison d’emprunter sur vingt ans »
À la reprise de la ferme familiale, Christophe et François Augereau ont investi avec prudence. Le bâtiment a été saturé et la production a progressé. Fins calculateurs, les frères ont mené cette évolution avec des résultats stables.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Le Gaec Lactajoux fait partie des 80 exploitations du GIE Maugie-lait repris il y a trois ans par la Laiterie de Saint-Denis-de-l’Hôtel (LSDH). « Notre père et notre cédant faisaient partie des initiateurs, en 1988, dans l’objectif de mieux valoriser leur lait, expliquent les deux frères Augereau. Avec 15 à 20 centimes de plus au litre, c’était rentable. Mais notre génération n’a jamais connu d’année fructueuse. Le prix de base est descendu jusqu’à 220 euros les mille litres. Nous avions l’habitude des fluctuations de prix, des trous de trésorerie et du manque de vision à long terme. Le GIE nous a appris à gérer les crises. »
Aujourd’hui, à l’âge de 39 ans, les jumeaux estiment avoir atteint un optimum avec un système cohérent et en accord avec leur conception du métier d’éleveur laitier. « Il faut être convaincu par ses choix. Avec la crise, ça ne sert à rien d’aller vers un système dans lequel on ne se sent pas bien. Par exemple, l’agriculture bio ne nous intéresse pas, mais notre goût est quand même de voir nos vaches pâturer. Nous n’irons pas au-delà du million de litres de lait pour ne pas déstabiliser notre système. »
« Jamais nous ne déléguerons la traite, même en embauchant »
François et Christophe se sont installés à deux ans d’intervalle, au début des années 2000, sur l’exploitation de 65 ha d’un voisin, à Cholet. Leur projet atteint sa taille définitive en 2008, deux ans avant la retraite de leur père. Ils construisent cette année-là un bâtiment de 100 logettes « pour ne pas se brider », avec une salle de traite par l’arrière de 2 x 8 places et « pas de superflu ». L’investissement total s’élève à 460 000 € pour lequel les éleveurs choisissent la prudence : un prêt sur vingt ans pour la carcasse du bâtiment et un prêt sur douze ans pour l’équipement intérieur. « Nous devions aussi en parallèle racheter les parts de notre cédant et de notre père », justifient-ils. Avec l’arrivée de la crise, ils ne regrettent pas ce calcul. Depuis toujours, les deux frères pilotent leur exploitation avec une grande rigueur. Ils ont été « dressés » à la fois par leur cédant et par leur père. « Notre prédécesseur n’a jamais eu de pénalité en qualité du lait de sa carrière. C’était un bon éleveur, un amoureux des vaches, et son troupeau était sain. C’est pour cela aussi que cette ferme nous plaisait. Notre priorité reste de réaliser notre volume de production, sans un seul mois de pénalité. »
Les vaches arrivent propres en salle de traite : leurs queues sont tondues régulièrement, les trayons sont désinfectés à la mousse, essuyés au papier, et reçoivent un produit filmogène après la traite. La désinfection des manchons au peroxyde après chaque vache est systématique. Les premiers jets sont tirés sur des vaches ciblées. « Nous connaissons tous les deux très bien nos vaches, car nous alternons le travail une semaine sur deux : l’un trait le matin, tandis que l’autre gère le raclage, le paillage, l’alimentation et la traite du soir. Ainsi, nous avons toujours un œil neuf et pas de lassitude. » Christophe et François ont la volonté d’être tous deux présents à la fois auprès des vaches et des cultures, même s’ils se partagent les responsabilités et prises de décision : le troupeau pour Christophe, les cultures pour François. « Nous dissocions les responsabilités et le travail. Et nous ne déléguerons jamais la traite, même si nous embauchons un jour. Nous sommes éleveurs laitiers : notre revenu est à la traite des vaches. »
« Nous faisons nos achats d’aliments à l’avance, quand le prix est intéressant »
En revanche, les deux associés ont choisi de sous-traiter certaines activités. Ainsi, l’alimentation des vaches est réalisée par la Cuma, pour un coût de 10,54 €/1 000 litres. Les chantiers d’ensilage et d’épandage du lisier sont délégués à une ETA. Toutes les prairies temporaires sont ensilées avant d’être pâturées. Négocié via la Cuma, le coût de la prestation pour la fauche en 9 m de large, l’ensilage et le tassage est de 85 €/ha. Le transport des remorques est géré par les éleveurs eux-mêmes. « Au 15 mai, nous avions récolté 70 ha en deux coupes, avec une moyenne de 3 t de MS par coupe. Les vaches pâturent les repousses de mai : c’est plus facile à gérer et il y a moins de gaspillage. » Entre mai et fin juin, les 15 ha de pâturage représentent au maximum 50 % de la ration.
La ration d’hiver est composée d’ensilage d’herbe, d’ensilage de maïs, d’un mélange fermier orge-maïs, de luzerne déshydratée, d’Okara (sous-produit de l’usine Sojasun riche en matière grasse), ainsi que de son de blé dur et de tourteau de soja au Dac. Pour les aliments achetés à l’extérieur, les éleveurs gèrent leur approvisionnement via un courtier. « Nous faisons nos achats à l’avance quand le prix est intéressant. Par exemple, nous avons de la luzerne en stock pour deuxans. Le soja arrive en vrac par 30 tonnes à 350 €/t au maximum ; le son de blé nous coûte 138 €/t. »
De manière générale pour tous les intrants, les deux frères demandent des devis chez plusieurs fournisseurs. Et pour les produits phytosanitaires, ils parlent en matière active, pas en nom commercial. Ils veillent à « dissocier le volet commercial du volet technique » en allant chercher leurs conseils auprès d’un agronome et d’un nutritionniste indépendants. Ils ont décidé aussi de se passer du contrôle laitier : « Nous savons envoyer nous-mêmes nos analyses tous les mois pour suivre notre troupeau. »
Le suivi vétérinaire du troupeau est programmé de manière régulière une fois par mois pour permettre un maximum de prévention. Dans le même esprit, les vaches ont droit au pédiluve chaque mois, trois matins de suite. Et le parage des animaux est systématique sur les pattes arrière deux fois par an, en avril et novembre.
« Nous travaillons soixante heures par semaine sans le subir grâce à notre organisation »
Entre-temps, la cage de contention présente dans l’exploitation peut être utilisée afin de « ne pas laisser traîner si vraiment un animal boite », précise Christophe qui a été formé au parage. C’est lui aussi qui insémine les vaches, fort de son expérience de vacher pendant trois ans à la station Inra de Jouy-en-Josas, avant son installation. « La génétique n’est pas notre passion, reconnaissent-ils. Le planning d’accouplement est fait par Prim’Holstein France car nous y trouvons un gain. Ils proposent un choix de trois taureaux par vache, sachant que nous ne voulons pas “d’une épicerie dans la bonbonne” : nous utilisons au maximum 10 à 15 taureaux. »
Si les éleveurs se disent peu motivés par le robot de traite et l’informatique, ils ont investi dans des colliers de détection des chaleurs pour 12 000 € : « Un investissement très rentable car on évite le temps passé à la surveillance. » Ils ont également investi 17 000 € dans un Dac depuis janvier 2017 afin d’intensifier la production dans un bâtiment désormais saturé. L’augmentation est estimée à 2 kg de lait par vache et par jour, soit 5 000 litres de plus par mois.
Les frères Augereau sont plutôt sereins pour l’avenir, mais estiment avoir encore des marges de manœuvre. « Nous travaillons 60 h par semaine sans le subir grâce à notre organisation, et nous sommes disponibles pour nos enfants. » Ils prennent un week-end sur deux « du vendredi soir au lundi matin » et aimeraient doubler leur semaine et demie de vacances annuelles. « L’idéal serait d’être à trois car quand l’un de nous deux part, c’est lourd pour celui quireste. On ne tiendra pas ce rythme jusqu’à 60 ans. Si le prix du lait était meilleur, on pourrait prendre un apprenti ou faire appel à un groupement d’employeurs. »
Nathalie TiersPour accéder à l'ensembles nos offres :